Al-Ahram Hebdo :
Quelle analyse faites vous du procès
Lockerbie ? Hans Köchler : En observant le
cours du procès, j’ai remarqué qu’outre la présence de
l’accusation, il y avait deux personnes du bureau du procureur
général américain, dont les noms ne figuraient pas dans les
documents renfermant les informations officielles concernant
les parties prenantes au procès. D’autre part, on a vu ces
deux personnes s’entretenir avec le groupe d’accusation au
cours des séances, examiner les informations, et faire passer
des documents. Pour tout observateur neutre, ceci veut dire
que ces deux personnes étaient des superviseurs qui
orientaient les stratégies de l’accusation et voilaient
certains documents concernant l’affaire. Pour ce qui est de la
défense, la présence d’un avocat libyen, qui occupait jadis
des postes officiels en Libye, donnait un aspect politique au
procès. Rappelons que de
grands efforts ont été déployés pour masquer des informations
importantes susceptibles d’éclairer les juges, dont celles
provenant de la CIA concernant l’ex-double-agent secret
libyen Abdel-Méguid Al-Gaïka. De même, on a entravé le suivi
de la déclaration selon laquelle un gouvernement étranger
détiendrait des informations importantes qui serviront la
défense (en référence à ce qui a été dit à propos d’un
document du Front populaire pour la libération de la Palestine
qui innocenterait les accusés). On en déduit qu’on a permis
à certains gouvernements étrangers ou agences
secrètes — même indirectement — de décider
des preuves à présenter au tribunal. Ainsi, le verdict de la
cour condamnant le premier accusé, Al-Amin Khalifa Fhemah,
était incompréhensible et ce puisque les juges eux-mêmes ont
admis que le témoignage apporté par le commerçant maltais
contre le premier accusé était à
contester. — Pensez-vous que le verdict du tribunal
écossais a été influencé par ces
considérations ? — L’avis du tribunal
manquait de logique puisqu’il a jugé le premier accusé
coupable et le second non-coupable. Alors que l’accusation a
reposé dès le départ sur le fait que les deux accusés ont été
impliqués conjointement. La crédibilité juridique faisait
défaut au verdict. Les juges ont ordonné un non-lieu de l’un
des plus importants éléments de l’accusation selon lequel les
accusés ont introduit, le 2 décembre 1988, dans l’aéroport de
la Valette (Malte) la valise supposée être utilisée pour
cacher la bombe qui a fait exploser l’avion de la Pan
Am. Dans ce contexte, le verdict final du tribunal a été
probablement régi par des considérations politiques. Ou bien
il a été en grande partie le résultat d’une influence évidente
exercée par certaines parties en dehors du cadre juridique.
Pour ce, le tribunal a été en somme injuste et il faut
poursuivre la recherche de la vérité afin de faire prévaloir
la loi et les droits des familles des
victimes. — Pensez-vous que la Libye se verra
obligée de verser des indemnités aux familles des victimes de
l’avion ? — Je ne crois pas que la Libye se trouve
contrainte de verser des indemnités tant qu’il n’a pas été
prouvé de manière absolue la culpabilité du libyen
Al-Megrahi. Et même en cas de
condamnation définitive de l’accusé libyen, on ne peut pas
confirmer que les autorités libyennes ont été impliquées dans
l’affaire. Du point de vue juridique, le dernier mot revient
au tribunal en vertu des preuves qu’il détient. Mais si la
Libye a le sentiment qu’il s’agit d’une affaire politique,
elle est en droit de réclamer des indemnités pour de nombreux
actes d’agression et de destruction. Ceci signifie qu’il faut
qu’il y ait une transaction. De fait, le problème dans ce
procès, c’est l'amalgame entre les deux côtés politique et
juridique. |